Le Matin, 18.08.2017, Valérie Duby
Elle a fait le déplacement de Genève à Berne pour se rendre compte, en vrai, de l’état des chevaux. Et, au besoin, en ramener si certains – «les plus maigres» – ne trouvaient pas de propriétaire. Anouk Thibaud, la fondatrice du Refuge de Darwyn, est rassurée. Le public a répondu présent en masse au Centre de compétence du service vétérinaire et animaux de l’armée de Schönbühl (BE) où a eu lieu, hier, la vente de 80 chevaux récupérés par l’armée chez K., 49 ans, éleveur à Hefenhofen, dans le canton de Thurgovie.
Les chevaux entrent en piste, tenus au licol par une recrue. La plupart sont très amaigris, même s’ils se sont refait une petite santé depuis dix jours à Schönbühl. «Il lui manque bien une centaine de kilos à cette poulinière», commente la Genevoise. Et ce petit cheval noir squelettique aperçu un peu plus tôt dans l’écurie? «Il doit peser dans les 350 kilos, il lui manque 40% de masse musculaire», constate Anouk Thibaud.
Gain de 140 200 francs
Les équidés sont vendus en l’état, sans indication sur leur âge. Leur valeur? Entre 100 et 2400 francs. Les acquéreurs peuvent surenchérir par tranche de 100 et pas davantage que 500 francs. On trouve à Schönbühl de simples curieux, des éleveurs, des associations comme la PSA (Protection suisse des animaux) et la VgT (Association contre les usines d’animaux) qui ont beaucoup œuvré dans cette affaire. Un groupe de femmes n’arrête pas de lever la main pour miser sur des équidés, sans même les regarder. L’une d’elles explique être présente «pour des gens prêts à recueillir les bêtes». Tajna, 15 ans, affiche son plus beau sourire. Son papa vient de réaliser son rêve: posséder sa propre monture.
En moyenne, les chevaux – beaucoup de franches-montagnes – partent dans les 1500 francs, un peu plus pour les juments et leurs poulains. «Au moins, au vu du prix, ils ne finiront pas à la boucherie», réagit Anouk Thibaud. Tous ont trouvé acheteur. Et la vente a rapporté 140 200 francs. Une somme qui finira – du moins en partie – dans la bourse de l’éleveur accusé de cruauté envers les animaux! «C’est la loi fédérale sur la protection des animaux qui le dit, dans son article 24», déplore Anouk Thibaud. La Genevoise voudrait que «cet article scandaleux soit modifié». Alors, oui, on facturera à K. l’intervention de la police thurgovienne à sa ferme. L’armée, elle aussi, fera ses comptes pour les soins fournis aux rescapés, les infrastructures mises à disposition, etc. Mais au final le message est là: l’éleveur bourreau – arrêté et enfermé en clinique psychiatrique – va récupérer de l’argent.
Cette triste affaire n’aurait jamais dû se produire. Dans les rangs du public, un éleveur des Franches-Montagnes secoue la tête: «On nous emm… parce qu’il manque quatre centimètres à un box et on a laissé faire ça!» Car K. n’en est pas à son coup d’essai. On lui connaît plusieurs antécédents dans le domaine et ce depuis plus de dix ans. Une interdiction de posséder plus de 60 animaux (c’est déjà pas mal!) lui avait déjà été signifiée. Son nom est aussi associé au scandale des chevaux abandonnés en 2014 chez un agriculteur de Boncourt (JU). Ce dernier s’était retrouvé à s’occuper pendant des mois de 33 équidés qui n’étaient pas les siens. il n’a jamais récupéré son argent.
Pas de contrôle central
«Le problème, commente la fondatrice du Refuge de Darwyn, c’est que l’interdiction de détenir des animaux est cantonale et non pas fédérale. Il n’existe pas, sur le plan suisse, de liste noire des propriétaires connus pour maltraitance envers les animaux. Chaque canton enregistre ses propres renseignements, qui ne sont pas obligatoirement communiqués au niveau de l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires. Il faut absolument créer une black list et faire des contrôles! Si les autorités n’ont pas le temps de faire des contrôles, qu’elles délèguent. Il y a assez d’associations pour le faire!»
Les chevaux martyrs ont trouvé un nouveau toit. Comme l’a déclaré le responsable de la vente, Henri Spychiger, ils vont enfin pouvoir retrouver la dignité et le respect qui leur est dû. (Le Matin)